En tête à Tête
Au grès du temps, du sablier
Au grès de ma route parsemée
Je rentre enfin dans ce cimetière
Il est comme si c’était hier
Sauf qu’aujourd’hui nous n’sommes que deux
Et sauf qu’aujourd’hui il pleut
Enfin il y a moi et mon père
Ou plutôt l’urne funéraire
Avec dessus un vieux portrait
Qui me ressemble trait pour trait
Datant de quand il vivait
En noir et blanc ça fait plus vrai
Aucune fleur, elles ont fane
Personne ne vient les arroser
Ça donne même l’envie d’y pisser
Tellement c’est triste à en crever
Au-dessus il y a une p’tite croix
J’espère qu’il ne la voit pas
Aucun Jésus-Christ dans son monde
Il doit s’retourner dans sa tombe.
Bon ben voilà, en tête à tête
Ca fait des lustres, j’reste un peu bête
Ton répondant n’est plus en vogue
J’vais donc te faire un monologue
Mais dans ma tête, j’veux pas passer
Pour un idiot qui parle au marbre
Surtout qu’il y a le jardinier
Qui m’espionne derrière un arbre
Ne m’demande pas pourquoi j’suis la
Même moi je crois que j’en sais rien
Disons juste que j’passais par la
Et que je me suis juste dis « tiens… »
N’y vois pas un quelconque besoin
En plus je n’suis pas du matin
Et je n’vis pas dans l’souvenir
Je préfère m’occuper d’l’avenir
Je vais t’épargner le refrain
De demander si tout va bien
Mais a vrai dire j’sais pas quoi dire
J’ai même jamais su trop quoi t’dire
Alors j’vais essayer d’meubler
Ça passera l’temps du jardinier
Et puis j’peux dire n’importe quoi
Elle m’impressionne pas ta croix
Au fait hier j’ai vu ton père
Il est un peu diminue
Mais sinon il n’a pas changé
Il est juste un peu plus fier
De voir ses arrières-p’tits marmots
Même s’il oublie quelques prénoms
Même s’il ne trouve pas tous les mots
En bout de table il reste patron
Sinon j’vais pas te parler d’moi
Tu n’mérites pas cette prétention
Et t’as qu’à m’poser la question
Ah non c’est vrai tu ne peux pas…
Tes cendres ne sont même pas là
On les a jeté avec Clea
C’était un jour sur une jetée
C’était au loin sur les rochers
C’était beau a en chialer
C’était de la poussière d’étoile
Qui servait à nous envoler
Vers une vie bien méritée
Ok d’accord tu veux savoir
Ce que l’fiston a dans le bide
Et bien je vais te laisser voir
Un mélange d’amour et d’morbide
Par contre pour une fois j’vais me taire
M’agenouiller dans ce cimetière
Pour que tu sente mon cœur battre
Ou plutôt se battre et combattre
Sens le parfum de mes enfants
Qui circule dans mon sang
Qui me font exploser les veines
Et refleurir tes chrysanthèmes
Qui transforme tout ton cimetière
En le plus beau des sanctuaires
Ou il t’y fera bon rêver
Même s’il y a toujours l’jardinier
Attend j’ai envie de pisser
Je vais arroser quelques croix
Pour qu’un Dieu puisse se réveiller
Et me voir lui lever mon doigt
Je vais m’asseoir sur une tombe
Je vais me descendre quelques bières
Faire une sieste dans les catacombes
Et je trinquerai avec mon père
En souvenir de ces années
Ou il y avait de quoi rêver
De quoi rebaptiser le monde
Loin de penser à cette tombe
Tu entends cette musique ?
On dirait qu’elle vient d’en bas
Ou bien plutôt de l’au-delà
Elle a un air un peu biblique
Elle vient pour te rappeler
Qu’il est l’heure pour moi d’ rentrer
Et puis pour toi de retourner
Dans tes siècles d’éternité
Très beau ce texte.
Magnifique